Nos amis, nos amours, nos emmerdes
Tout a commencé un lundi matin, en montant un escalier en colimaçon, pensant sérieusement à la perspective de repartir en courant dans l'autre sens.
Et de faire gober au monde entier que, sisi, bien sûr que je me rend effectivement tous les jours à l'endroit où je fais mon stage pendant 6 semaines.
Il aurait suffi d'une imagination débordante après tout (teuheu).
L'éviter paraissait encore plus crevant que de l'affronter. Foutu pour foutu comme dirait l'autre.
Alors arrivée en haut des marches j'ai ouvert la porte en bois d'approximativement 4 tonnes 5, avec une étiquette "La Provence" collée à côté de la poignée.
A la limite du passage à trepas, on m'a planté en face d'un monsieur dont la tête hurlait "On est lundi matin, il est légalement beaucoup trop tôt pour faire quoique ce soit, ah et au fait à la première bourde tu vires."
Et puis il y a eu une sorte de tornade d'1m60 et des bananes qui a debarqué dans le même bureau une minute plus tard, et dont la propre tête braillait encore plus fort "putain génial c'est lundi matin", et qui s'est mise à parler de la coupe de cheveux du croque mort en face.
Passé les deux premières secondes en mode 'secrétaire de 58 ans' où j'ai trouvé ça révoltant de parler de ses cheveux à quelqu'un qui n'en a visiblement pas été doté d'une touffe trop conséquente au départ, j'ai suivie la tornade.
Dans l'escalier le plus raide que j'ai jamais experimenté (et autant vous dire que moi et mon postérieur on en a devalés par mal), elle m'a informé qu'elle s'appelait Lucile, et qu'elle exerçait la merveilleuse profession de stagiaire dans la vie, comme bibi (moi, pour les nouilles qui ne suivraient pas)
Et puis j'ai arrêté de l'écouter en bas de l'escalier parce que c'était la première fois que je me retrouvai au milieu de la rédaction d'un quotidien, et que si on avait été dans un blockbuster américain, ça aurait été le moment de la musique sensé provoquer l'émerveillement chez le spectateur.
...
Ceci dit comme c'était pas le cas, je l'ai suivie pour atterir dans une boite à taille humaine vitré, où visiblement les journalistes élévent un vivier de stagiaires shootés au café, à la clope, et à l'horoscope à la fin du journal.
Au bout d'un laps de temps incommensurablement long (environ 4mn), je me suis dit que ça allait être sacrement dur de me passer de tous ces gens dans 6 semaines.
Le croque mort lui même s'est revelé une demi heure plus tard être souriant (passé 9h30 et 2 cafés).
Il y aura eu les stagiaires, LA correspondante (et la quinzaine derrière qu'on voit...ou pas), et puis tous les autres, les vrais. Les journalistes, les pigistes, les secrétaires de rédaction, les pilotes.
Manon que mère nature a eu l'amabilité de doter du même rire que moi pour que je me sente moins isolée (on est donc passé du simple cri du cochon, à la porcherie complete en mode fou rire furieux). Manon, son sac qui est apparement le même modéle que celui de Mary Poppins, ses reflexions profonde sur les sens de la vie ("j'ai vraiment des gros seins"), et sa faculté à laisser les hommes la bouche ouverte de façon impressionante rien qu'en leur passant devant. Ma poulette, l'unique.
Et puis surtout, surtout, les potins, les histoires de fesses, les histoires d'amour avec de la fesse au milieu parce qu'autrement on se marre moins, les pauses café beaucoup trop longues, les journées beaucoup trop courtes, éviter de raconter qu'on collectionne tous les journaux où on voit ses initiales parce que pour les autres c'est la routine, s'apercevoir que la collection ne tient plus dans son étagére et se dire que peut être que ça devient (un peu quoi) la routine.
Les kilométres à pieds, en bus, en voiture, voire pieds nus pour aller faire semblant que, mais oui bien sur absolument, l'assemblée générale du CIDFF c'est la plus belle chose qui te soit arrivé dans ta vie, peut être en dehors de la bande de pré-pubéres que tu doit aller interwiever d'ici 2h évidemment.
Chaque jour de la semaine ressemble à un épisode de Dallas, la permanente années 70 et l'excés de maquillage en moins.
Ca devait durer 6 semaines, n'être qu'un stage, ça durera jusqu'à ce qu'ils aient atteint leurs seuils de tolérance à moi même, c'est devenu un boulot. Et puis surtout des potes de misére qui sont devenus des amis.
Et qui sait, un jour j'arrêterai peut être même de faire relire mes articles par la moitié de la rédaction avant d'oser les rendre.
Et tous les soirs en descendant l'escalier en colimaçon, après avoir refermé la porte en bois (qui a du grossir pendant le mois, c'est la seule explication plausible), je me dis que je les remonterai bien dans le sens inverse...